dimanche 24 mai 2009

Évaluation, notation et discrimination : une dérive à la mode mais pénalement sanctionnée

« Travailler mieux pour gagner plus » : la notation des salariés est dans l’air du temps. Elle a pour objet de mesurer la contribution du salarié et de la résumer en un chiffre unique : « 1 » pour les meilleurs, « 2 » pour le gros du peloton et « 3 » pour les plus mauvais. Cette démarche peut cependant viser d’autres objectifs, moins nobles : le licenciement ou la discrimination. De plus en plus fréquemment, les syndicats dénoncent ce détournement. La ligne jaune à ne pas franchir est dessinée tant par le droit du travail que par le droit pénal.

Une succession de notes « 3 » peut-elle constituer une cause de licenciement ? L’article L.1232-1 du Code du Travail prévoit que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La jurisprudence pose que « l’ insuffisance de résultats ne peut en soi constituer une cause de licenciement » (Cass. Soc. : 2/3/2005 ; 12/2/2002). En pratique, elle exige que trois conditions soient satisfaites.

En premier lieu, il est nécessaire que l’insuffisance de résultats soit imputable au salarié lui-même. Ceci exclut donc tout système dans lequel la note se fonderait en partie sur des défaillances imputables à l’entreprise.

En second lieu, la cause de licenciement doit être objective. Il importe donc que la note ne repose pas sur des considérations subjectives, telles que l’esprit d’équipe ou plus banalement la « note de gueule ». Les objectifs sur lesquels se fonde la notation devront nécessairement être cohérent avec ceux obtenus antérieurement par le salarié ou ceux des autres salariés.

En troisième lieu, la jurisprudence impose que la cause de licenciement ait un caractère sérieux. Dans ce but, elle contrôle la proportionnalité entre la cause du licenciement et ses effets. Un système de notation avec un effet couperet et automatique risque donc de méconnaître cette exigence. Ainsi, un système prévoyant un licenciement automatique à la suite de deux notes « 3 » consécutives ne devrait pas être admis par les juges.

Au delà de sa défense fondée sur le droit du licenciement, le salarié peut aussi s’opposer à la notation sur le terrain de la discrimination, qui est particulièrement fertile.

En effet, le principe de non-discrimination prévu par l’article L.1132-1 du Code du travail trouve à s’appliquer très largement : « notamment en matière de rémunération (…), de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ».

La plupart du temps, la notation aura un impact dans l’une de ces matières. S’il apparaît que cette notation repose sur les caractéristiques personnelles du salarié, notamment son âge ou son sexe, alors celui-ci peut non seulement demander sa nullité mais aussi être indemnisé du préjudice qu’il aura subi.

L’article L.1134-1 du Code du travail rend effective la protection du salarié : il lui suffit de présenter « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ». Il appartiendra alors à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée « par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Par exception au droit commun, c’est donc au défendeur de prouver son absence de faute. Ceci n’est jamais chose aisée.

L’article L.1134-2 du Code du travail parachève la construction protectrice du salarié, puisque les organisations syndicales représentatives au plan national peuvent exercer en justice les actions anti-discrimination en se substituant à l’intéressé, sans avoir à justifier un mandat de sa part.

Le Code pénal vient à la rescousse du salarié lorsque la discrimination conduit à le sanctionner ou à licencier. Dans ce cas, l’article L.225-2 prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende. S’agissant d’une infraction intentionnelle, il appartient alors au salarié de démontrer que la décision a été prise volontairement et consciemment pour un motif discriminatoire. Il sera donc bien avisé de produire quelques données statistiques en vue d’établir une telle intention. Il pourra s’agir notamment de la fréquence des plus mauvaises notes en corrélation avec l’âge des salariés.

En définitive, la simplicité de la notation se heurte par nature à la subtilité de l’équilibre entre les exigences du management et celles des droits de l’homme.

Michel PASOTTI – Avocat au Barreau de Paris – Docteur en économie – Paris, le 24 mai 2009