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lundi 24 mai 2010

Condamnation de BNP Paribas pour discrimination : quelles leçons et perspectives ?

Le 5 mai 2010, le GIE BNP Paribas était condamné par la Cour d’Appel de Paris pour discrimination. S’agissant d’une entreprise pourtant estampillée « Label diversité » opposée à une diplômée d’HEC, cette décision est exemplaire. Elle illustre à quel point le risque d’être accusé de discrimination devient omniprésent pour l’entreprise. Quelles leçons faut-il retenir de cet arrêt remarquablement pédagogique ? Ouvre-t-il de nouvelles perspectives ?

1. Régime de la preuve en faveur du demandeur

Comme en matière de harcèlement, le régime de la preuve est spécialement aménagé afin de limiter la tâche du demandeur.
La démarche de la Cour d’Appel s’articule ainsi en deux étapes, tour à tour à la charge du salarié puis de l’employeur.
Tout d’abord, le salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire doit soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement.
Ensuite, il incombe à l’employeur d’établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

2. Evaluation du préjudice de stagnation professionnelle et règle dite « du triangle »

L’évaluation du préjudice résulte de la combinaison de plusieurs chefs. En se cumulant les uns aux autres, ils peuvent conduire à des montants redoutables pour l’employeur.

En premier lieu, la discrimination donne lieu à une réparation autonome.

En l’espèce, le préjudice trouve sa source dans la stagnation de l’évolution professionnelle de la salariée et d’une discrimination salariale par rapport aux collègues masculins de la demanderesse, comme elle diplômés d’HEC.

Il est calculé classiquement selon la règle dite du triangle, selon la formule : (écart actuel de salaire x nombre d’années de discrimination /2) + incidence sur la retraite. Cette méthode simple n’est pas pour autant dénuée de bon sens.

Le préjudice moral est souverainement évalué par la juridiction, ce qui est une manière de reconnaître le caractère essentiellement subjectif du montant retenu.

En second lieu, le dédommagement doit être complété dès lors que la discrimination a été accompagnée d’une rupture du contrat de travail imputable à l’employeur, par exemple en cas de prise d’acte par le salarié. L’employeur est alors condamné à payer notamment l’indemnité légale de licenciement et les dommages-intérêts pour licenciements sans cause réelle et sérieuse.

3. Importance décisive des panels et de la rigueur statistique

En matière de discrimination, c’est essentiellement à travers le recours à des panels que chaque partie fait valoir ses arguments.
Et comme le veut l’adage, la statistique constitue toujours la troisième forme du mensonge.
C’est donc sur le délicat sujet de la représentativité statistique des panels que les parties vont s’opposer.
Dans cette affaire, la Cour d’Appel a écarté le panel de BNP PARIBAS, en relevant : « il a manifestement été choisi pour les besoins de la cause » et « il ne comporte aucun salarié diplômé d’HEC ».
En définitive, c’est la rigueur statistique des parties qui conditionne l’issue de cette catégorie de contentieux.


4. Intervention de la HALDE, portée collective du litige et perspectives

La HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) a été saisie en cours d’instance par la salariée. Elle est donc intervenue dans le litige et la Cour d’Appel a repris l’essentiel de ses conclusions, selon lesquelles :
- « le ralentissement de carrière de la salariée et les difficultés auxquelles elle a été confrontées … résultent d’inégalités de traitement fondées sur le sexe, la grossesse et la situation de famille » ;
- « la BNP Paribas n’a pas justifié sa gestion … par des éléments objectifs, proportionnés et étrangers à toute discrimination » ;
- la salariée « a fait l’objet de discriminations cumulées directes et indirectes eu égard à sa réintégration, son déroulement de carrière et sa rémunération ».
Le rôle de la HALDE apparaît particulièrement important. Elle a pesé de tout son poids en faveur de la salariée, au risque de porter atteinte au caractère équitable du procès.
De surcroît, dans son rapport d’expertise, elle relève « pour tous les pôles d’activité de l’entreprise, les femmes perçoivent une rémunération inférieure à celle de leur collègue masculin ayant le même diplôme, une date d’entrée comparable et un même environnement professionnel ».

Incontestablement, ce constat est de nature à donner une dimension collective à un litige individuel à l’origine. Il peut donc s’agir du point de départ d’une succession de litiges fondés sur la même cause.

Ce risque de contagion collective apparaît comme une dimension inhérente au contentieux de la discrimination.

Nul doute que les entreprises devront redoubler de vigilance en la matière. Et que les salariés choisiront plus en plus fréquemment le terrain de la discrimination pour défendre leurs droits.

La condamnation d’une société aussi emblématique que BNP Paribas est de nature à amplifier ce mouvement. Encore faut-il que les salariés aient le courage d’entamer un long procès tout en s’exposant aux représailles des entreprises de leur secteur professionnel.

Mais Madame « Dupond » n’appartient pas à l’élite des diplômées d’HEC …

Sauf à ce que les syndicats s’emparent du sujet, le domaine du non-droit, si cher au Doyen Carbonnier, a encore de beaux jours devant lui !


Michel PASOTTI – Avocat au Barreau de Paris – le 24 mai 2010

dimanche 24 mai 2009

Évaluation, notation et discrimination : une dérive à la mode mais pénalement sanctionnée

« Travailler mieux pour gagner plus » : la notation des salariés est dans l’air du temps. Elle a pour objet de mesurer la contribution du salarié et de la résumer en un chiffre unique : « 1 » pour les meilleurs, « 2 » pour le gros du peloton et « 3 » pour les plus mauvais. Cette démarche peut cependant viser d’autres objectifs, moins nobles : le licenciement ou la discrimination. De plus en plus fréquemment, les syndicats dénoncent ce détournement. La ligne jaune à ne pas franchir est dessinée tant par le droit du travail que par le droit pénal.

Une succession de notes « 3 » peut-elle constituer une cause de licenciement ? L’article L.1232-1 du Code du Travail prévoit que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La jurisprudence pose que « l’ insuffisance de résultats ne peut en soi constituer une cause de licenciement » (Cass. Soc. : 2/3/2005 ; 12/2/2002). En pratique, elle exige que trois conditions soient satisfaites.

En premier lieu, il est nécessaire que l’insuffisance de résultats soit imputable au salarié lui-même. Ceci exclut donc tout système dans lequel la note se fonderait en partie sur des défaillances imputables à l’entreprise.

En second lieu, la cause de licenciement doit être objective. Il importe donc que la note ne repose pas sur des considérations subjectives, telles que l’esprit d’équipe ou plus banalement la « note de gueule ». Les objectifs sur lesquels se fonde la notation devront nécessairement être cohérent avec ceux obtenus antérieurement par le salarié ou ceux des autres salariés.

En troisième lieu, la jurisprudence impose que la cause de licenciement ait un caractère sérieux. Dans ce but, elle contrôle la proportionnalité entre la cause du licenciement et ses effets. Un système de notation avec un effet couperet et automatique risque donc de méconnaître cette exigence. Ainsi, un système prévoyant un licenciement automatique à la suite de deux notes « 3 » consécutives ne devrait pas être admis par les juges.

Au delà de sa défense fondée sur le droit du licenciement, le salarié peut aussi s’opposer à la notation sur le terrain de la discrimination, qui est particulièrement fertile.

En effet, le principe de non-discrimination prévu par l’article L.1132-1 du Code du travail trouve à s’appliquer très largement : « notamment en matière de rémunération (…), de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ».

La plupart du temps, la notation aura un impact dans l’une de ces matières. S’il apparaît que cette notation repose sur les caractéristiques personnelles du salarié, notamment son âge ou son sexe, alors celui-ci peut non seulement demander sa nullité mais aussi être indemnisé du préjudice qu’il aura subi.

L’article L.1134-1 du Code du travail rend effective la protection du salarié : il lui suffit de présenter « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ». Il appartiendra alors à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée « par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Par exception au droit commun, c’est donc au défendeur de prouver son absence de faute. Ceci n’est jamais chose aisée.

L’article L.1134-2 du Code du travail parachève la construction protectrice du salarié, puisque les organisations syndicales représentatives au plan national peuvent exercer en justice les actions anti-discrimination en se substituant à l’intéressé, sans avoir à justifier un mandat de sa part.

Le Code pénal vient à la rescousse du salarié lorsque la discrimination conduit à le sanctionner ou à licencier. Dans ce cas, l’article L.225-2 prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende. S’agissant d’une infraction intentionnelle, il appartient alors au salarié de démontrer que la décision a été prise volontairement et consciemment pour un motif discriminatoire. Il sera donc bien avisé de produire quelques données statistiques en vue d’établir une telle intention. Il pourra s’agir notamment de la fréquence des plus mauvaises notes en corrélation avec l’âge des salariés.

En définitive, la simplicité de la notation se heurte par nature à la subtilité de l’équilibre entre les exigences du management et celles des droits de l’homme.

Michel PASOTTI – Avocat au Barreau de Paris – Docteur en économie – Paris, le 24 mai 2009