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mercredi 2 mars 2016

Réforme du droit des contrats : quid novi pour les contrats IT?

L’ordonnance du 10 février 2016 fait enfin intervenir la réforme du droit des contrats si longtemps annoncée. Non évènement ou changement radical dans la vie des affaires ? Qu’est ce qui est nouveau en matière de contrats IT ?

Il y a deux manières denvisager cette réforme : y voir la source dune profonde transformation dans les relations daffaires ou considérer quelle ne fait que reprendre des règles jurisprudentielles bien établies. A travers le prisme des contrats IT, quelques exemples permettent dillustrer les termes du débat.

I)      Une source de transformation dans la vie des affaires : plus defficacité et de justice au détriment de la sécurité juridique ?

Conformément à lair du temps, la recherche defficacité, de réactivité et de vitesse irrigue lensemble des changements à intervenir. De sorte que les nouveautés essentielles portent sur linexécution du contrat et notamment sur les possibilités daction unilatérale dune des parties.

A) Action unilatérale dune des parties nécessité dadapter la pratique contractuelle  

Plutôt que d’attendre la décision du juge, une partie pourra, de son propre chef : « refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ». (Art. 1219)
De même :  « Une partie peut suspendre l’exécution de sa prestation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais ». (Art. 1220)

De plus : « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut:
– suspendre l’exécution de sa propre obligation
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’engagement
– solliciter une réduction du prix
– provoquer la résolution du contrat
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les remèdes qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulés ; les dommages et intérêts peuvent s’ajouter à tous les autres remèdes ». (Art. 1217)

On voit bien ce que telles dispositions laissent entrevoir pour certains clients : « vous ne faites pas ce pourquoi je vous paie, donc je suspends les paiements … ».
Pire encore : « manifestement, vous ne ferez pas ce que vous avez promis, donc je suspends les paiements … ».
En matière d’intégration de systèmes par exemple, l’épée de Damoclès sera en permanence sur la  tête de l’ESN, sans qu’elle dispose toujours de moyens immédiats de rétorsion.
En matière d’externalisation, le rapport de forces sera souvent inversé.
Viennent encore compliquer la situation les contrats de développements en méthodes agiles, dont on sait que la spécification des livrables est particulièrement délicate.

Plus grave encore que le risque de suspension, la menace de résolution planera dorénavant sur les parties, soit en cas d’exécution imparfaite (Art. 1217), mais aussi en cas d’inexécution suffisamment grave accompagnée d’une notification (Art. 1224) et d’une mise en demeure (Art.1225).

« Inexécution suffisamment grave », « Engagement exécuté imparfaitement » : voici donc les standards juridiques auxquels il faudra prioritairement se référer pour ne pas à avoir à attendre le juge.

Certains s’en réjouiront. D’autres s’en inquièteront. Comment par exemple reconnaitre le revenu d’un contrat pluri-annuels alors les conditions de son exécution peuvent si fortement le compromettre ? En est ce fini de la prévisibilité propre à la matière contractuelle ?

Oui et non. Oui si la pratique contractuelle reste inchangée. Non, si elle s’adapte. Nul doute que dorénavant les stipulations contractuelles devront être encore plus précises qu’aujourd’hui et notamment encadrer les exceptions d’inexécution, le niveau de gravité et les clauses résolutoires. Que les rédacteurs devront plus que jamais être des spécialistes du but du contrat et/ou travailler en étroite équipe techniques concernées.


B) Intervention accrue du juge dans le contrat : faible impact sur la pratique contractuelle

Empreinte de l’air du temps, l’Ordonnance donne plus de latitude au juge afin qu’il intervienne dans le contrat et réduise les effets de la trop grande force d’une partie sur l’autre.

En premier lieu, la liberté des cocontractants trouvera sa limite lorsqu’elle portera atteinte aux droits et libertés fondamentaux, à moins que, selon  la formule consacrée : « cette atteinte soit indispensable à la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but recherché ». (Art. 1102)
En second lieu, une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat pourra être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée. (Art. 1169)
En troisième lieu, il  y a également violence lorsqu’une partie abusera de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie pour obtenir un engagement que celle–ci n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse.  (Art. 1142)
En quatrième lieu, l’ordonnance ne manque pas de prévoir que toute clause privant de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. (Art. 1168)

Sauf à faire preuve d’une grande créativité, on voit mal à priori en quoi les rédacteurs de contrats seront affectés par ces dispositions. En effet, soit elles seront d’ordre public de sorte qu’aucun contrat ne pourra s’y opposer, soit elles reprennent en grande partie des solutions jurisprudentielles bien établies.

A défaut d’évolutions prévisibles en matière de pratique contractuelle, il reste que certaines possibilités de procès nouveaux pourraient apparaître. Notamment s’agissant des clauses contractuelles avec les mastodontes tels que le GAFA ou Microsoft et dès lors que ni le Code de la Consommation (L. 132-1) ni le Code de Commerce (Article L442-6) ne trouveraient à s’appliquer.

PS : Pour rappel, c’est en se référant au Code de la Consommation que la cour d’appel de Paris a confirmé le 12 février 2016 l’ordonnance du 5 mars 2015 du TGI de Paris jugeant abusive la clause attributive de compétence au profit des tribunaux du comté de Santa Clara en Californie et figurant dans les conditions générales de Facebook


II)    Une absence de rupture avec le droit positif : une clarification salutaire plus qu’une révolution ?

L’absence de rupture résulte tout d’abord des dispositions transitoires de l’Ordonnance : elle  n’entrera en vigueur que le 1er octobre 2016 et les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.
Même si les contrats tacitement renouvelés et les contrats tacitement reconduits seront soumis à la loi nouvelle, la loi ancienne continuera encore quelques années à régir les plus importants contrats. Notamment en matière d’externalisation et de grands projets d’intégration.

L’absence de rupture résulte aussi du fait que cette réforme est avant tout une clarification salutaire des règles du droit positif, notamment s’agissant de l’exception d’inexécution et de la résolution pour inexécution.

A)    Lexception dinexécution

Pour dire les choses simplement, lexception dinexécution, cest la règle du donnant-donnant. Chaque partie ne donne à lautre que si elle a reçu ce quelle attendait. Si jusqu’à ce jour, il nexiste pas dans le Code civil de texte général sur lexception dinexécution, cela na pas empêché les praticiens des contrats IT dappliquer cette règle en conditionnant les paiements en fonction des livrables et des recettes.  De sorte que la chronologie des obligations réciproques palliait le silence du Code civil. De ce point de vue là, lentrée en vigueur du nouvel article 1219 ne semble pas changer grand chose.

En revanche, sagissant du nouvel article 1220, il pourrait ouvrir la porte à bien des débats sur le caractère « manifeste » du fait que le cocontractant ne sexécutera pas à l’échéance. Il peut donc apparaître comme un facteur dinsécurité, qui serait le prix à payer pour favoriser la sacro-sainte réactivité de la vie des affaires.


B)   La résolution pour inexécution

Contrairement au système de Common Law (Termination for breach) et aux Principes du droit européen des contrats, le droit français pose aujourd’hui le principe que l’intervention du juge doit avoir lieu avant que la résolution soit prononcée. Ainsi, aux termes de l’article 1184 du Code civil, alinéa 3 : « la résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ».

Une jurisprudence prétorienne (Cass. Civ. 1ère, 13 oct 1998) est toutefois venue assouplir cette règle de l’intervention préalable du juge. Les spécialistes n’ont depuis cessé de s’opposer sur le sens et la portée de cette jurisprudence. De  sorte que le régime de la résolution pour inexécution se caractérise encore aujourd’hui par le flou et l’insécurité dont il est entaché.

C’est donc à la fois un alignement de notre droit avec celui de nos partenaires économiques et une clarification qu’apporte cette réforme du droit des contrats.

Il faut s’en réjouir. Même s’il faut aussi admettre qu’elle imposera de revisiter quelque peu les matrices de contrats IT auxquels nous sommes habitués, notamment leurs clauses résolutoires et la caractérisation fine des niveaux de gravité en cas de manquement(s).

Un réveil salutaire en quelque sorte …


mardi 7 janvier 2014

Conformité des logiciels : en 2014, qui empochera le pactole ?

Quand on ne gagne plus de nouveaux clients, autant faire payer ceux que l’on a déjà. Les éditeurs de logiciels le savent bien. Aussi, en 2014, ils se battront comme jamais pour exploiter le gisement de la conformité. Au même moment, virtualisations, concentrations et relocalisations des systèmes d'information (SI) alimentent toujours plus ce pactole pour les éditeurs. Mais ils ne sont plus les seuls à le convoiter. Afin de contrebalancer leur dessein, d’autres acteurs montent progressivement en puissance. Ainsi, s’engage un passionnant bras de fer, qui - espérons le - donnera tout son sens au software asset management (SAM).

I - La conformité : un pactole nourri par les grandes tendances des SI

A) La partie faible n’est plus ce qu’elle était

Chacun sait que les logiciels sont protégés par le droit d’auteur et que celui-ci a été pensé pour la protection du plus faible. Mais par un curieux revirement de l’histoire, la logique d’ensemble est inversée. En 2014, les grands éditeurs détiennent à la fois droits d’auteur et pouvoir. Ils peuvent donc dicter leur loi : celle des contrats, qu’ils parviennent à imposer pratiquement à tous.

De fait, ils ont identifié de longue date le gisement de la conformité. Les éditeurs de culture anglo-saxonne notamment sont parfaitement rompus aux arcanes contractuelles et au filon de la « compliance », dont ils mesurent toute la portée.

Ainsi, chaque éditeur concocte son cocktail de clauses qui, avec quelque patience, viendra asphyxier le client et rapporter bien plus que la redevance initiale. Les ingrédients sont bien connus. Ils portent notamment sur les conditions de cession des droits, le lieu d’implantation des logiciels, les bénéficiaires, les machines utilisées et les puissances de traitement.

Le tout reposant habilement sur des clauses d’audit, de résiliation et de limitation de durée soigneusement muries.

C’est bien entendu la combinaison de tous ces ingrédients qui en fait la saveur. D’autant  qu’une habile politique commerciale permet la plupart du temps de s’affranchir du garde-fou constitué par le contrat-cadre et de changer d’interlocuteurs au fil du temps. Il en est ainsi notamment lorsque sont négociés au coup par coup des documents plus contingents (bons de commandes, contrats d’application, documents dits de transactions, avenants, annexes ou tout autre avatar du même acabit).

B) Les DSI doivent évoluer comme jamais

Chacun constate que le rythme des affaires et les mutations des entreprises s’accélèrent de manière exponentielle. Il n’est guère de directions générales qui ne s’affairent aux évolutions de son périmètre et de ses activités. Toutes pensent fusion, cession, filialisation, spécialisation, mondialisation, sous-traitance, externalisation.

Dans ce contexte, les DSI ont choisi leur credo : virtualisation et alignement du SI avec les métiers.

De sorte qu’elles consacrent d’importants moyens à la « mise en nuage » des ressources de traitements, leur consolidation, voire leur relocalisation et/ou leur sous-traitance.

Nul besoin d’être grand clerc pour réaliser que le cadre contractuel imposé par les éditeurs constitue un formidable carcan lorsque l’entreprise doit se transformer de la sorte.

Qu’ainsi, à plusieurs reprises, le choc sera frontal entre les limites imposées par les contrats de logiciels et les changements souhaités par le management. Et que lorsque ceux-ci n’auront pas été suffisamment anticipés et chiffrés, il faudra en passer par les fourches caudines des éditeurs.

Évidemment, la situation est encore pire lorsque l’entreprise se transforme et évolue en ignorant les contraintes imposées par la conformité. C’est alors par les foudres de la contrefaçon que l’entreprise se trouve rattrapée.



II - L’écosystème de la conformité : les multiples acteurs complémentaires du SAM

Face aux éditeurs, le SAM mobilise toujours plus tant les équipes internes des entreprises que divers prestataires externes en plein essor.

A) La mobilisation conjointe de nombreux intervenants internes

Plus que toute autre activité, le SAM repose sur une étroite interaction entre les trois directions internes que sont les achats, le juridique et l'informatique.

En effet, dès lors que se noue le lien contractuel, les directions des achats sont concernées au premier chef puisqu'il s'agit de manager la relation avec des fournisseurs comme les autres que sont les éditeurs. De leur côté, les directions juridiques doivent bien entendu veiller à l'équilibre des clauses contractuelles et aux risques nés du fait du contrat. Quant aux directions informatiques,  il leur appartient de définir les besoins en termes de licences. Cette mission peut être rendue particulièrement délicate tant par la nature des unités d'œuvre que l'identification même des besoins.

Au fil du temps, la tâche de l'entreprise se complexifie rapidement puisqu'il lui est nécessaire de piloter en permanence la délicate et volatile balance entre les licences acquises et les licences requises.

Et celles-ci vont évoluer toujours plus fréquemment, notamment du fait de la virtualisation des ressources techniques, des changements parmi la population des utilisateurs, des évolutions de la politique de back-up, des concentrations, relocalisations  et autres transferts de sites ...

Il s'ensuivra de nombreux va et vient entre les trois entités concernées, sans que jamais l'une d’elles puisse raisonnablement prendre le leadership sur les autres.


B) La montée en puissance d’un nouvel écosystème

Ces derniers temps, comme l'on pouvait s’y attendre, les éditeurs se sont faits toujours plus menaçants à l'égard de leurs clients. Ils ont donc brandi les menaces de l'audit, de la résiliation et de la contrefaçon.

Les audits étant généralement prévus par les contrats des éditeurs, certaines sociétés spécialisées n'ont donc pas manqué de proposer leurs services, notamment afin de mesurer l'utilisation réelle des licences puis de la confronter aux prévisions des termes contractuels.

De leur côté, les utilisateurs se sont trouvés confrontés à un nombre croissant de pré-contentieux, de sorte qu'ils ont progressivement commencé à faire appel aux professionnels du droit que sont les avocats. Ainsi, ils ont vite pris conscience de la sévérité du droit français en cas de contrefaçon : la procédure de saisie-contrefaçon mais aussi un mode spécial de calcul du préjudice et une juridiction "inhabituelle" en cas de  litiges. En effet, le TC (Tribunal de Commerce) est écarté par la compétence exclusive du TGI (Tribunal de Grande Instance) en matière de droit d’auteur. Sans oublier que le droit pénal lui même vient renforcer le pouvoir de sanction des éditeurs puisqu’il punit la contrefaçon par 3 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende pour les personnes physiques (montant multiplié par 5 pour les personnes morales).

Le SAM vient donc constituer une activité en croissance pour la profession d'avocats.

Enfin, conscients des difficultés rencontrées par les entreprises du fait de la conformité, certains éditeurs y ont vu une opportunité. Il ont donc entrepris de développer des applications spécialisées,  afin notamment de compléter leurs gammes de logiciels dédiés à l'asset management ou au contract management.

Évidemment, la complexité se déplace alors vers la mise en œuvre, l'implémentation et le pilotage de ce type d’applications. De sorte que diverses sociétés spécialisées commencent à proposer un mix de conseil et de logiciels, souvent qualifié de conseil outillé.

De surcroît, certains spécialistes du sourcing - maîtrisant notamment les arcanes et pratiques des grands éditeurs (Microsoft, IBM, Oracle, CA, BMC, …) - entrent eux aussi dans la compétition. Nul doute qu’ils seront particulièrement pertinents compte tenu des chausse-trappes que renferment les contrats des champions du logiciel.

En définitive, l’étonnant cumul des prérogatives du droit d’auteur et de la puissance économique des éditeurs produit un foisonnant écosystème. C’est ainsi que le SAM vient encore renforcer la dynamique de décloisonnement et de fertilisation croisée entre les métiers des achats, du droit et du conseil IT.

Michel PASOTTI - Paris, le 6/01/2014