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dimanche 31 janvier 2010

Big bang sur le Web 2.0 : la Cour de Cassation remet les pendules à l’heure !

Le 14 janvier 2010, la 1ère Chambre civile de la Cour de Cassation s’est prononcée sur le métier de Tiscali Media. Qualifiée d’éditeur, cette société ne peut pas bénéficier de l’exonération de responsabilité réservée aux hébergeurs. Toute l’économie du Web 2.0 risque d’être frappée par la puissance de l’onde de choc !
Pour l’anticiper, il convient de revenir sur le sens de cette décision (1) avant d’en mesurer les colossales répercussions économiques (2) puis de dire pourquoi il faut l’approuver (3).

1) Le sens de la décision de la 1ère Chambre civile : l’hébergeur ne doit exercer que de simples fonctions techniques, excluant la gestion d’espaces publicitaires payants. En conséquence : le gestionnaire de la publicité affichée sur une page est pleinement responsable du contenu de toute la page.

Cette décision confirme l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 7 juin 2006, qui qualifiait d’éditeur la société Tiscali Media, filiale de Telecom Italia. En tant qu’éditeur, cette société est pleinement responsable des contenus accessibles sur son site, même lorsque ces contenus sont fournis et stockés par les internautes eux-mêmes.
En pratique, et c’est le propre du web 2.0, il en est ainsi la plupart du temps. Chacun apporte sa contribution. Mais il peut s’agir de diffamations, d’injures, de contrefaçons, de provocations ou d’apologie de crime et de délits, d’atteintes à la vie privée, … dont l’éditeur est tenu pour responsable.
Considérant cette situation comme étant de nature à entraver le développement du e-commerce, le législateur a prévu un statut original : l’hébergeur (Loi du 1er Août 2000, puis LCEN - 21 juin 2004, transposant la Directive Européenne du 8 juin 2000 dite « commerce électronique ».)
La caractéristique essentielle de l’hébergeur est l’atténuation de sa responsabilité en présence d’un contenu illicite.
Le 14 janvier 2010, la Cour de Cassation nous dit que la société Tiscali Media ne peut bénéficier de la qualification d’hébergeur.
Pour cela, elle relève que ladite société « a offert à l’internaute de créer ses pages personnelles à partir de son site et proposé aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion ».
La Haute Juridiction en tire pour conséquence que ces services « excédaient les simples fonctions techniques » prévues par la loi pour invoquer le bénéfice de la qualité d’hébergeur.
La règle posée est claire : l’hébergeur ne doit exercer que de simples fonctions techniques.
L’activité de régie publicitaire n’est pas une simple fonction technique.
En conséquence : le gestionnaire de la publicité affichée sur une page est pleinement responsable du contenu de toute la page.

2) De colossales répercussions économiques : un modèle économique à reconstruire

Rendant le gestionnaire de la publicité affichée sur une page pleinement responsable du contenu de toute la page, la Cour de Cassation ouvre la porte à d’innombrables actions en justice dirigées contre les ténors de l’internet, tels que Google, Facebook, Youtube …
Plutôt que d’hypothétiques poursuites à l’encontre des auteurs des infractions, les justiciables préfèreront se tourner vers ces sociétés pour obtenir réparation.
De même, les innombrables forums et autres blogs équilibrant leurs comptes par des recettes publicitaires se verront assaillis par des procès qu’ils ne pourront que perdre.
En définitive, c’est un pan entier de l’économie numérique qui est menacé de mort et plus spécifiquement celui du web 2.0, caractérisé par le rôle actif des internautes.
Seule paraît viable une évolution rapide vers de nouveaux modèles économiques  de financement, voir vers de nouveaux comportements.
Comme toute crise, celle-ci devrait apporter sa cohorte de douloureux réajustements mais aussi d’heureux gagnants.

3) Une décision qu’il faut approuver car elle est juste et sert l’intérêt général

La tentation de s’insurger contre la décision de la Cour de Cassation est forte.
Celle-ci heurte de plein fouet l’idéologie libérale, si caractéristique de l’internet.
Le web 2.0 a ceci de fascinant qu’il permet à chacun d’agir à sa guise, de s’exprimer, voir de s’approprier les biens immatériels d’autrui.
Cette liberté, confortée par l’anonymat, propulse le succès et la popularité du web 2.0. En d’autres termes son audience, qui a pour corollaire son financement par la publicité.
Les critiques ne manqueront pas pour fustiger une règle qui réduit le financement par la publicité, qui s’oppose au dogme du développement du e-commerce, inscrit dans le marbre de la Directive Communautaire de l’an 2000.
En 2010 cependant, la régulation n’a plus à faire la preuve qu’elle est devenue indispensable.
Est conforme à l’intérêt général le principe qui consiste à responsabiliser ceux qui tirent profit des agissements illicites des tiers.
La Cour de Cassation n’a fait qu’appliquer un tel principe à la galaxie du web 2.0.
Comme toutes les exceptions, celle consentie au bénéfice des prestataires techniques doit être interprétée strictement.
Il faut rendre grâce à la 1ère Chambre Civile de nous avoir rappelé les bases du droit.

mercredi 29 octobre 2008

Le renouveau de la responsabilité délictuelle des acteurs de l’internet


La jurisprudence récente semble confirmer le retour en force du droit commun en matière de responsabilité des acteurs de l’internet (TGI Troyes 4 juin 2008, TC Paris 30 juin 2008). 
Corrélativement, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) apparaît délaissée par les juges, alors même qu’elle constitue le cadre juridique spécialement prévu pour régir le droit de l’internet. 
Celui-ci prévoit notamment un régime de responsabilité atténuée bénéficiant aux hébergeurs. Ils sont définis par la LCEN comme ceux qui stockent des données fournies par les destinataires du service. Les hébergeurs ne voient leur responsabilité engagée que s’ils ne réagissent pas promptement pour interdire l’accès de données signalées comme illicites ou qui le sont manifestement.
Ce n’est que lorsqu’un acteur de l’internet va au delà de son rôle d’hébergeur qu’il cesse de bénéficier de ce régime privilégié. Il en va ainsi notamment lorsque l’hébergeur agit sur le contenu, par exemple en tant qu’éditeur. 
Simple à énoncer, le distinguo est délicat en pratique. En effet, un hébergeur n’est que très rarement totalement passif. Il peut par exemple organiser le contenu pour le présenter, notamment dans un objectif de profit. En outre, l’évolution incessante de la puissance des logiciels a multiplié les possibilités pour les acteurs de l’internet de surveiller les contenus stockés.
Il en résulte que la qualification d’hébergeur n’est plus guère pertinente. La jurisprudence semble en prendre acte et revenir aux notions traditionnelles de la responsabilité délictuelle. Elle est fondée sur le triptyque : savoir, pouvoir et inertie. 
Ainsi, le TGI de Troyes a condamné le 4 juin 2008 la société Ebay au motif qu’elle ne veillait pas « à l’absence d’utilisation répréhensible dudit site ». Pour sa part, le Tribunal de Commerce de Paris a condamné le 30 juin 2008 la même société elle avait manqué « à son obligation de s’assurer que son activité ne génère pas d’actes illicites ». Ces deux décisions ont en commun la sanction d’un manquement au devoir de vigilance qui s’impose à tout professionnel.
Cette motivation est au fond très proche de celle de l’arrêt Estelle Hallyday rendu par la Cour d’appel de Paris le 10 février 1999. Selon la Cour, l’hébergeur devait « assumer à l’égard des tiers (…) les conséquences d’une activité qu’il a, de propos délibérés, entrepris d’exercer ». 
En définitive, le mouvement perpétuel de balancier entre droit spécial et droit commun a remis les choses en leur état antérieur. Les juges semblent aujourd’hui délaisser la loi du 21 juin 2004.
C’est donc la qualification de faute qui apparaît à nouveau comme la clé de la responsabilité des acteurs de l’internet. Est ainsi décisif le jugement de valeur porté sur la qualité morale, sociale ou technique de leurs comportements. Le rôle du juge en sort renforcé. Celui de la défense l’est tout autant. Les acteurs de l’internet sont invités à la prudence et à la vigilance, comme tout professionnel.