samedi 28 février 2009

Télévision par internet : Orange Sports et France Telecom perdent 0 à 1 contre Free et Neuf Cegetel

Par son jugement en date du 23 février 2009, le Tribunal de Commerce de Paris a sévèrement condamné France Telecom et sa filiale Orange Sports. Les amateurs de football s’en réjouiront, surtout s’ils sont abonnés aux services ADSL de Free ou de Neuf Cegetel. Ce combat de titans illustre à quel point le droit est devenu le terrain de bataille des grandes sociétés françaises. Paradoxalement, c’est le droit de la consommation qui est appelé à la rescousse du droit de la concurrence. Le sens, la valeur et la portée de cette décision méritent quelques commentaires.

Sauf à avoir passé l’année 2008 sur la planète Mars, chacun sait que la société Orange Sports est une filiale de France Telecom, éditant le service Orange Foot. Celui-ci est proposé en option payante. Toutefois, et c’est là que le cœur du débat, le consommateur doit contracter un abonnement d’accès internet haut débit Orange pour avoir la possibilité d’acheter cette option. Une ligne téléphonique ne pouvant acheminer plus d’une transmission ADSL, le consommateur doit résilier son abonnement ADSL avec tout autre fournisseur qu’Orange. 

En définitive, c’était un moyen assez pratique pour augmenter la part de marché de notre champion national des télécommunications ! Afin d’en arriver là, il s’était battu pour obtenir les droits exclusifs sur trois des douze lots attribués par la Ligue de Football Professionnel, au prix conséquent de 203 millions d’Euros.

Face au Tribunal, France Telecom a donc fait valoir le caractère légitime de sa stratégie de différenciation, fondée sur le développement d’une base de contenus audiovisuels qu’elle financerait en partie. C’est donc un modèle économique global, favorable tant à la filière de la production qu’au consommateur qu’elle entendait défendre. Remettre en cause l’exclusivité du service Orange Foot revenait à détruire tout le modèle lui-même.

Le Tribunal de Commerce ne l’a pas compris ainsi. Il s’est rangé aux arguments de Free et Neuf Cegetel. Il a considéré que l’offre Orange Foot et l’abonnement internet d’Orange ne constituaient pas un produit unique. Qu’imposer un abonnement internet Orange pour accéder à l’offre Orange Foot était constitutif d’une vente subordonnée, prohibée par l’article L.122-1 du Code la Consommation.

Cette vente subordonnée permettant à France Telecom d’acquérir une clientèle qu’elle détourne de ses concurrents, le Tribunal a jugé qu’il lui incombait de réparer le préjudice causé par ses actes de concurrence déloyale.

Cette décision mérite d’être approuvée car elle fait une juste application de la loi. Il y a bien vente subordonnée internet/télévision et les arguments techniques sur l’indissociabilité des deux services ne sont guère convaincants.

Cette décision met du baume au cœur de tous amateurs de football qui sont abonnés Free et neuf Cegetel. Ils n’auront pas à changer de fournisseurs internet pour regarder leurs matchs préférés.

Pour autant, est-elle conforme à l’intérêt du football en général ? Dans cette affaire, la Ligue de Football Professionnel est volontairement intervenue pour soutenir France Telecom. Il est aisé de comprendre pourquoi. Sans exclusivité effective, elle ne peut continuer à obtenir les mêmes prix et le financement de toute la filière est compromis à terme.

En transposant le raisonnement au secteur de la création d’œuvres audiovisuelles, le constat est le même. Seule une exclusivité effective permet de garantir la différenciation, donc le profit au bout de la chaîne, nécessaire au fonctionnement d’une économie de marché.

Le dilemme traverse l’ensemble de l’économie d’aujourd’hui. Monopole favorisant l’investissement ou concurrence parfaite au risque de l’immobilisme ?

Pour trancher, le juge dispose de deux instruments merveilleux : l’intérêt général et la proportionnalité.

Toutefois, l’article L.122-1 du Code la Consommation ne prévoit pas ces exceptions en matière de vente subordonnée. Le législateur est sans doute parti du louable principe que le consommateur était trop faible pour lui imposer de telles subtilités.

Puisque les grands groupes s’emparent à présent de ce Code pour défendre leurs propres intérêts, il pourrait être opportun de revisiter ses dispositions en conséquence.

Il reste qu’avec une habile politique de tarification de ses bouquets de services, France Telecom peut certainement arriver à ses fins sans méconnaître la loi.

Tout ça pour ça !

Michel PASOTTI - Avocat au Barreau de Paris - Docteur en Économie - Paris, le 28 Février 2009