lundi 20 avril 2009

Harcèlement moral : un délit en vogue par temps de crise ?

La violence de la crise économique actuelle contraint les entreprises à réduire leurs effectifs. Deux solutions pour cela : soit licencier, soit conduire à la démission certains salariés. Chacun le sait : un licenciement coûte cher, surtout s’il est causé par un motif économique. Obtenir qu’un salarié démissionne est à priori moins onéreux. Le harcèlement moral est cependant sévèrement sanctionné. 

Depuis 2002, les faits de harcèlement sont réprimés tant par le Code du travail que le Code Pénal. L’article 1152-1 du Code du travail prévoit en ce cas un emprisonnement d’un an et une amende de 3.750 €. L’article 222-33-2 du Code pénal reprend la même peine d’emprisonnement et porte l’amende à 15.000 €. Tant pour l’employeur que pour ses salariés, il convient de s’interroger : où commence le harcèlement moral ? Où est la ligne rouge à ne pas franchir ? 

La qualification du délit de harcèlement moral est toutefois rendue incertaine par le fait qu’elle est surtout fondée sur ses conséquences. Le 24 septembre 2008, la Cour de Cassation a affirmé qu’elle entendait désormais contrôler cette qualification et donc l’appréciation souveraine des juges du fond. 

Nul doute qu’en cette année 2009, ce type de contentieux se fait plus fréquent et il importe de trouver quelques points de repères.

De très nombreux faits peuvent être constitutifs de harcèlement moral. Il en est ainsi notamment de l’attribution de tâches sans rapports avec les fonctions du salarié, de l’affectation dans un local exigu ou sans outil de travail, de mesures vexatoires ou injustes. La jurisprudence a même retenu à l’encontre de l’employeur le fait de retirer à un salarié son téléphone portable sans motif.

L’incrimination est très large puisqu’elle vise la dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

De plus, le délit de harcèlement moral fait partie des infractions formelles : il est constitué même si la victime ne subit pas un préjudice effectif. Par exemple, parce qu’elle aura réussi à préserver sa santé physique ou mentale malgré les agissements subis. Il s’agit là du refus de moins protéger ceux qui auront réussi à résister à « la guerre des nerfs ».

Considérant qu’il est spécialement difficile pour le salarié d’obtenir des témoignages de son harcèlement, le législateur a aménagé le droit commun du régime de la preuve. Ainsi, il suffit que le salarié établisse des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Il incombe alors à l’employeur de démontrer que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que son comportement se justifie par « des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » (Art. 1154-1 - Code du travail). 

Les juges vérifient toutefois le conjonction et la répétition des faits pour retenir la qualification de harcèlement moral, que la jurisprudence entend ne pas confondre avec une simple situation stressante dans l’entreprise.

Le manageur conserve ainsi une certaine marge de manœuvre pour mettre sous tension ses équipes. Il doit toutefois être conscient qu’il engage sa responsabilité personnelle à l’égard de ses subordonnés. Il se gardera donc bien de se compromettre au jeu de la réduction des effectifs pour plaire à sa propre hiérarchie ou atteindre ses objectifs de rentabilité. Il risque d’ailleurs en ce cas des sanctions disciplinaires, pouvant aller jusqu’à la faute grave.

Pour autant, l’employeur reste tenu de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et l’absence de faute de sa part ne l’exonère pas de sa responsabilité.

En synthèse, la guerre des nerfs est une réponse inappropriée à la gestion des sureffectifs en temps de crise. Il faut s’en réjouir car le refus du harcèlement moral, c’est aussi l’affirmation de la supériorité de la dignité humaine sur les contingences économiques, en toutes circonstances, nonobstant la crise.

Michel PASOTTI – Avocat au Barreau de Paris – Docteur en Économie – Paris, le 20 avril 2009