Quand on ne gagne plus de
nouveaux clients, autant faire payer ceux que l’on a déjà. Les éditeurs de
logiciels le savent bien. Aussi, en 2014, ils se battront comme jamais pour
exploiter le gisement de la conformité. Au même moment, virtualisations,
concentrations et relocalisations des systèmes d'information (SI) alimentent
toujours plus ce pactole pour les éditeurs. Mais ils ne sont plus les seuls à
le convoiter. Afin de contrebalancer leur dessein, d’autres acteurs montent
progressivement en puissance. Ainsi, s’engage un passionnant bras de fer, qui -
espérons le - donnera tout son sens au software asset management (SAM).
I - La conformité : un
pactole nourri par les grandes tendances des SI
A) La partie faible n’est plus
ce qu’elle était
Chacun sait que les logiciels
sont protégés par le droit d’auteur et que celui-ci a été pensé pour la
protection du plus faible. Mais par un curieux revirement de l’histoire, la
logique d’ensemble est inversée. En 2014, les grands éditeurs détiennent à la
fois droits d’auteur et pouvoir. Ils peuvent donc dicter leur loi : celle
des contrats, qu’ils parviennent à imposer pratiquement à tous.
De fait, ils ont identifié de
longue date le gisement de la conformité. Les éditeurs de culture anglo-saxonne
notamment sont parfaitement rompus aux arcanes contractuelles et au filon de la
« compliance », dont ils mesurent toute la portée.
Ainsi, chaque éditeur concocte
son cocktail de clauses qui, avec quelque patience, viendra asphyxier le client
et rapporter bien plus que la redevance initiale. Les ingrédients sont bien
connus. Ils portent notamment sur les conditions de cession des droits, le lieu
d’implantation des logiciels, les bénéficiaires, les machines utilisées et les
puissances de traitement.
Le tout reposant habilement sur
des clauses d’audit, de résiliation et de limitation de durée soigneusement
muries.
C’est bien entendu la combinaison
de tous ces ingrédients qui en fait la saveur. D’autant qu’une habile politique commerciale permet la
plupart du temps de s’affranchir du garde-fou constitué par le contrat-cadre et
de changer d’interlocuteurs au fil du temps. Il en est ainsi notamment lorsque
sont négociés au coup par coup des documents plus contingents (bons de
commandes, contrats d’application, documents dits de transactions, avenants,
annexes ou tout autre avatar du même acabit).
B) Les DSI doivent évoluer
comme jamais
Chacun constate que le rythme des
affaires et les mutations des entreprises s’accélèrent de manière exponentielle. Il n’est guère de directions générales qui ne s’affairent aux évolutions de son
périmètre et de ses activités. Toutes pensent fusion, cession, filialisation,
spécialisation, mondialisation, sous-traitance, externalisation.
Dans ce contexte, les DSI ont
choisi leur credo : virtualisation et alignement du SI avec les métiers.
De sorte qu’elles consacrent
d’importants moyens à la « mise en nuage »
des ressources de traitements, leur consolidation, voire leur relocalisation
et/ou leur sous-traitance.
Nul besoin d’être grand clerc
pour réaliser que le cadre contractuel imposé par les éditeurs constitue un
formidable carcan lorsque l’entreprise doit se transformer de la sorte.
Qu’ainsi, à plusieurs reprises,
le choc sera frontal entre les limites imposées par les contrats de logiciels
et les changements souhaités par le management. Et que lorsque ceux-ci n’auront
pas été suffisamment anticipés et chiffrés, il faudra en passer par les
fourches caudines des éditeurs.
Évidemment, la situation est
encore pire lorsque l’entreprise se transforme et évolue en ignorant les
contraintes imposées par la conformité. C’est alors par les foudres de la
contrefaçon que l’entreprise se trouve rattrapée.
II - L’écosystème de la conformité : les multiples acteurs complémentaires du SAM
Face aux éditeurs, le SAM
mobilise toujours plus tant les équipes internes des entreprises que divers
prestataires externes en plein essor.
A) La mobilisation conjointe
de nombreux intervenants internes
Plus que toute autre activité, le
SAM repose sur une étroite interaction entre les trois directions internes que
sont les achats, le juridique et l'informatique.
En effet, dès lors que se noue le
lien contractuel, les directions des achats sont concernées au premier chef
puisqu'il s'agit de manager la relation avec des fournisseurs comme les autres
que sont les éditeurs. De leur côté, les directions juridiques doivent bien
entendu veiller à l'équilibre des clauses contractuelles et aux risques nés du
fait du contrat. Quant aux directions informatiques, il leur appartient de définir les besoins en
termes de licences. Cette mission peut être rendue particulièrement délicate
tant par la nature des unités d'œuvre que l'identification même des besoins.
Au fil du temps, la tâche de
l'entreprise se complexifie rapidement puisqu'il lui est nécessaire de piloter
en permanence la délicate et volatile balance entre les licences acquises et
les licences requises.
Et celles-ci vont évoluer
toujours plus fréquemment, notamment du fait de la virtualisation des
ressources techniques, des changements parmi la population des utilisateurs,
des évolutions de la politique de back-up, des concentrations,
relocalisations et autres transferts de
sites ...
Il s'ensuivra de nombreux va et
vient entre les trois entités concernées,
sans que jamais l'une d’elles puisse raisonnablement prendre le leadership sur
les autres.
B) La montée en puissance
d’un nouvel écosystème
Ces derniers temps, comme l'on
pouvait s’y attendre, les éditeurs se sont faits toujours plus menaçants à
l'égard de leurs clients. Ils ont donc brandi les menaces de l'audit, de la
résiliation et de la contrefaçon.
Les audits étant généralement
prévus par les contrats des éditeurs, certaines sociétés spécialisées n'ont
donc pas manqué de proposer leurs services, notamment afin de mesurer
l'utilisation réelle des licences puis de la confronter aux prévisions des
termes contractuels.
De leur côté, les utilisateurs se
sont trouvés confrontés à un nombre croissant
de pré-contentieux, de sorte qu'ils ont progressivement commencé à faire appel
aux professionnels du droit que sont les avocats. Ainsi, ils ont vite pris
conscience de la sévérité du droit français en cas de contrefaçon : la procédure de saisie-contrefaçon mais aussi un mode spécial
de calcul du préjudice et une juridiction "inhabituelle" en cas
de litiges. En effet, le TC (Tribunal de
Commerce) est écarté par la compétence exclusive du TGI (Tribunal de Grande
Instance) en matière de droit d’auteur. Sans oublier que le droit pénal lui
même vient renforcer le pouvoir de sanction des éditeurs puisqu’il punit la
contrefaçon par 3 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende pour les
personnes physiques (montant multiplié par 5 pour les personnes morales).
Le SAM vient donc constituer une
activité en croissance pour la profession d'avocats.
Enfin, conscients des difficultés rencontrées par les entreprises du fait de la conformité,
certains éditeurs y ont vu une opportunité. Il ont donc entrepris de développer
des applications spécialisées, afin
notamment de compléter leurs gammes de logiciels dédiés à l'asset management ou
au contract management.
Évidemment, la complexité se
déplace alors vers la mise en œuvre, l'implémentation et le pilotage de ce type
d’applications. De sorte que diverses sociétés spécialisées commencent à
proposer un mix de conseil et de logiciels, souvent qualifié de conseil
outillé.
De surcroît, certains
spécialistes du sourcing - maîtrisant notamment les arcanes et pratiques des grands éditeurs (Microsoft, IBM,
Oracle, CA, BMC, …) - entrent eux aussi dans la compétition. Nul doute qu’ils
seront particulièrement pertinents compte tenu des chausse-trappes que renferment les contrats des champions du logiciel.
En définitive, l’étonnant cumul
des prérogatives du droit d’auteur et de la puissance économique des éditeurs
produit un foisonnant écosystème.
C’est ainsi que le SAM vient encore renforcer la dynamique de décloisonnement
et de fertilisation croisée entre les métiers des achats, du droit et du
conseil IT.
Michel PASOTTI - Paris, le
6/01/2014