L’ordonnance du 10 février 2016 fait enfin intervenir la réforme du droit des contrats si
longtemps annoncée.
Non évènement ou changement radical dans la
vie des affaires ? Qu’est
ce qui est nouveau en matière
de contrats IT ?
Il y a deux manières d’envisager cette réforme : y voir la source d’une profonde transformation dans les
relations d’affaires
ou considérer
qu’elle
ne fait que reprendre des règles
jurisprudentielles bien établies.
A travers le prisme des contrats IT, quelques exemples permettent d’illustrer les termes du débat.
I)
Une
source de transformation dans la vie des affaires : plus d’efficacité et
de justice au détriment de la sécurité juridique
?
Conformément à l’air du temps, la recherche d’efficacité, de réactivité et de vitesse irrigue l’ensemble des changements à intervenir. De sorte que les nouveautés essentielles portent sur l’inexécution du contrat et notamment sur les possibilités d’action unilatérale d’une des parties.
A) Action unilatérale d’une des parties – nécessité d’adapter la pratique contractuelle
Plutôt que
d’attendre la décision du juge, une partie pourra, de son propre chef : « refuser
d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre
n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment
grave ». (Art. 1219)
De même :
« Une
partie peut suspendre l’exécution de sa prestation dès lors qu’il est
manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les
conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette
suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais ». (Art. 1220)
De plus :
« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou
l’a été imparfaitement, peut:
– suspendre
l’exécution de sa propre obligation
– poursuivre
l’exécution forcée en nature de l’engagement
– solliciter
une réduction du prix
– provoquer
la résolution du contrat
– demander
réparation des conséquences de l’inexécution.
Les remèdes
qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulés ; les dommages et intérêts
peuvent s’ajouter à tous les autres remèdes ». (Art. 1217)
On voit bien ce
que telles dispositions laissent entrevoir pour certains clients : « vous
ne faites pas ce pourquoi je vous paie, donc je suspends les paiements … ».
Pire
encore : « manifestement, vous ne ferez pas ce que vous avez promis,
donc je suspends les paiements … ».
En matière
d’intégration de systèmes par exemple, l’épée de Damoclès sera en permanence
sur la tête de l’ESN, sans qu’elle
dispose toujours de moyens immédiats de rétorsion.
En matière
d’externalisation, le rapport de forces sera souvent inversé.
Viennent encore
compliquer la situation les contrats de développements en méthodes agiles, dont
on sait que la spécification des livrables est particulièrement délicate.
Plus grave
encore que le risque de suspension, la menace de résolution planera dorénavant
sur les parties, soit en cas d’exécution imparfaite (Art. 1217), mais aussi en
cas d’inexécution suffisamment grave accompagnée d’une notification (Art. 1224)
et d’une mise en demeure (Art.1225).
« Inexécution
suffisamment grave », « Engagement exécuté imparfaitement » :
voici donc les standards juridiques auxquels il faudra prioritairement se
référer pour ne pas à avoir à attendre le juge.
Certains s’en
réjouiront. D’autres s’en inquièteront. Comment par exemple reconnaitre le
revenu d’un contrat pluri-annuels alors les conditions de son exécution peuvent
si fortement le compromettre ? En est ce fini de la prévisibilité propre à la
matière contractuelle ?
Oui et non. Oui
si la pratique contractuelle reste inchangée. Non, si elle s’adapte. Nul doute
que dorénavant les stipulations contractuelles devront être encore plus
précises qu’aujourd’hui et notamment encadrer les exceptions d’inexécution, le
niveau de gravité et les clauses résolutoires. Que les rédacteurs devront plus
que jamais être des spécialistes du but du contrat et/ou travailler en étroite
équipe techniques concernées.
B) Intervention
accrue du juge dans le contrat : faible impact sur la pratique
contractuelle
Empreinte de
l’air du temps, l’Ordonnance donne plus de latitude au juge afin qu’il
intervienne dans le contrat et réduise les effets de la trop grande force d’une
partie sur l’autre.
En premier lieu,
la liberté des cocontractants trouvera sa limite lorsqu’elle portera atteinte
aux droits et libertés fondamentaux, à
moins que, selon la formule consacrée : « cette atteinte soit indispensable à
la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but
recherché ». (Art. 1102)
En
second lieu, une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les
droits et obligations des parties au contrat pourra être supprimée par le juge
à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée. (Art. 1169)
En troisième lieu, il y a également violence lorsqu’une partie
abusera de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve
l’autre partie pour obtenir un engagement que celle–ci n’aurait pas souscrit si
elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse. (Art.
1142)
En quatrième
lieu, l’ordonnance ne manque pas de prévoir que toute clause privant de sa
substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. (Art. 1168)
Sauf à faire preuve d’une grande créativité, on voit mal à priori en
quoi les rédacteurs de contrats seront affectés par ces dispositions. En effet,
soit elles seront d’ordre public de sorte qu’aucun contrat ne pourra s’y
opposer, soit elles reprennent en grande partie des solutions
jurisprudentielles bien établies.
A défaut
d’évolutions prévisibles en matière de pratique contractuelle, il reste que
certaines possibilités de procès nouveaux pourraient apparaître. Notamment
s’agissant des clauses contractuelles avec les mastodontes tels que le GAFA ou
Microsoft et dès lors que ni le Code de la Consommation (L. 132-1) ni le Code
de Commerce (Article
L442-6) ne trouveraient à s’appliquer.
PS : Pour
rappel, c’est en se référant au Code de la Consommation que la cour d’appel de
Paris a confirmé le 12 février 2016 l’ordonnance du 5 mars 2015 du TGI de Paris
jugeant abusive la clause attributive de compétence au profit des tribunaux du
comté de Santa Clara en Californie et figurant dans les conditions générales de
Facebook
II)
Une absence de rupture avec le droit positif : une clarification
salutaire plus qu’une révolution ?
L’absence de
rupture résulte tout d’abord des dispositions transitoires de l’Ordonnance :
elle n’entrera en vigueur que le 1er
octobre 2016 et les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi
ancienne.
Même si les
contrats tacitement renouvelés et les contrats tacitement reconduits seront
soumis à la loi nouvelle, la loi ancienne continuera encore quelques années à
régir les plus importants contrats. Notamment en matière d’externalisation et
de grands projets d’intégration.
L’absence de
rupture résulte aussi du fait que cette réforme est avant tout une
clarification salutaire des règles du droit positif, notamment s’agissant de
l’exception d’inexécution et de la résolution pour inexécution.
A)
L’exception d’inexécution
Pour dire les choses simplement, l’exception d’inexécution, c’est la règle du donnant-donnant. Chaque partie
ne donne à
l’autre
que si elle a reçu
ce qu’elle
attendait. Si jusqu’à
ce jour, il n’existe
pas dans le Code civil de texte général sur l’exception d’inexécution, cela n’a pas empêché les praticiens des contrats IT d’appliquer cette règle en conditionnant les paiements en
fonction des livrables et des recettes.
De sorte que la chronologie des obligations réciproques palliait le silence du Code
civil. De ce point de vue là,
l’entrée en vigueur du nouvel
article 1219 ne semble pas changer grand chose.
En revanche, s’agissant du nouvel article 1220, il
pourrait ouvrir la porte à
bien des débats
sur le caractère
« manifeste » du fait que le cocontractant ne
s’exécutera pas à l’échéance. Il peut donc apparaître comme un facteur d’insécurité, qui serait le prix à payer pour favoriser la sacro-sainte
réactivité de la vie des affaires.
B)
La résolution pour inexécution
Contrairement au
système de Common Law (Termination for breach) et aux Principes du droit
européen des contrats, le droit français pose aujourd’hui le principe que
l’intervention du juge doit avoir lieu avant que la résolution soit prononcée.
Ainsi, aux termes de l’article 1184 du Code civil, alinéa 3 : « la résolution doit être demandée en
justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les
circonstances ».
Une
jurisprudence prétorienne (Cass. Civ. 1ère, 13 oct 1998) est
toutefois venue assouplir cette règle de l’intervention préalable du juge. Les
spécialistes n’ont depuis cessé de s’opposer sur le sens et la portée de cette
jurisprudence. De sorte que le régime de
la résolution pour inexécution se caractérise encore aujourd’hui par le flou et
l’insécurité dont il est entaché.
C’est donc à la
fois un alignement de notre droit avec celui de nos partenaires économiques et
une clarification qu’apporte cette réforme du droit des contrats.
Il faut s’en
réjouir. Même s’il faut aussi admettre qu’elle imposera de revisiter quelque
peu les matrices de contrats IT auxquels nous sommes habitués, notamment leurs
clauses résolutoires et la caractérisation fine des niveaux de gravité en cas
de manquement(s).
Un réveil
salutaire en quelque sorte …